chronique publiée à
RéalitésPlus de dix millions d’internautes (y compris des Tunisiens http://
www.tn-blogs.com) ont créé des blogs, c’est-à-dire leurs propres sites où ils s’expriment sur des questions personnelles ou publiques. L’Internet confère à chacun de nous le pouvoir de parler et de s’exprimer dans l’espace public.
Au-delà des infrastructures techniques, terminaux et réseaux, l’Internet se présente comme un vaste espace social où s’inventent chaque jour de nouvelles formes d’information et de communication sociale et donc de sociabilité. En ce sens l’Internet ne peut être réduit à une seule dimension. Imprévisible, le réseau est constamment remodelé par des innovations de toutes sortes qui transforment en permanence ses usages.
Le réseau reste donc réfractaire à toute forme de simplification. Ceux qui y voient uniquement un espace de connaissances et de savoir ne comprennent toujours pas pourquoi les jeunes utilisent l’Internet pour “chatter”, télécharger de la musique, jouer ou suivre l’actualité de leurs stars préférées. Usages supposés futiles en contradiction avec ce qu’ils considèrent comme la fonction naturelle (vertueuse) de l’Internet : l’accès à la connaissance et au savoir.
En Tunisie, le discours médiatique évoque généralement l’Internet comme une sorte de base de données gigantesque où les individus puisent indéfiniment toutes sortes d’informations et de connaissances. Cette manière de voir le réseau est totalement erronée, puisque l’Internet est autre chose que cela. Elle tait l’origine de ces informations et savoirs : les producteurs de cette abondance informationnelle et la source inépuisable de ces connaissances et savoirs que nous consommons, comme si nous étions libérés de l’obligation d’y participer. Enfin, cette manière de voir est dangereuse parce qu’elle réduit la question de l’Internet à de simples problèmes d’accès : terminaux, connexions… et consommation, alors qu’un problème tout aussi décisif est esquivé : comment participons- nous au réseau, quels contenus produisons-nous… ? Autant de questions que masque une vision simpliste centrée sur l’accès.
Abondance
La première question qui mérite discussion est sans doute celle du contenu, de sa richesse et de son abondance. Ce sont les diverses et multiples activités auxquelles peut s’adonner l’internaute qui sont à l’origine du développement fulgurant du réseau : écrire, publier, discuter, échanger, acheter, vendre, lire, écouter de la musique, regarder de la vidéo, faire des rencontres, s’informer… Sans ces activités, le réseau n’existerait pas. L’abondance informationnelle magnifiée partout n’est donc pas l’œuvre de quelques institutions. Elle est le résultat, entre autres, de ces innombrables activités.
Un seul chiffre incarne ce qu’on appelle souvent “ l’abondance informationnelle ” : le moteur de recherche Google indexe plus de six milliards de pages, sans parler de ce qu’appellent les spécialistes le Deep Web, inaccessible au moteurs de recherches parce que constitué de bases de données difficilement “ indexables ” sous formes de pages.
Pour comprendre cette abondance informationnelle, il nous faut connaître ses acteurs.
D’une manière générale on peut dire que le réseau est constitué de trois types de contenus.
D’abord ce qu’on peut appeler les contenus de type institutionnel, produits par les entreprises, les administrations publiques, associations, organisation internationales… Ces institutions cherchent à capter des clients (commerce électronique), à gérer leurs images par l’information (relations publiques) ou encore à mettre de l’information à la disposition des publics. Ces contenus institutionnels ont généralement un caractère publicitaire ou marchand.
Il y a ensuite les contenus médiatiques ou “ éditoriaux ”. Ils sont produits par les médias ou les entreprises d’éditions. Ces contenus, payants ou financés par la publicité, sont produits par des professionnels des médias et sont soumis à des normes de présentation et d’écriture. Mais là aussi, l’Internet transforme l’essence même du média et remet en cause son caractère élitiste. Prenons un exemple : traditionnellement un journal est le produit du travail du journaliste. Les lecteurs n’ont accès qu’à un espace réduit pour exprimer leurs opinions ou réagir aux articles. Sur Internet, le journal est réinventé. On offre à l’internaute une multitude d’outils pour participer : sondage d’opinions, chat, forums de discussion. Certains journaux proposent même aux internautes la possibilité de créer leur propre journal sous forme de blog.
Il y a enfin les contenus personnels ou communautaires produits par les internautes eux-mêmes, individuellement ou collectivement. Ces contenus personnels constituent la véritable originalité de l’Internet. Le réseau n’a pas seulement démocratisé l’accès à l’information mais il a surtout rendu possible l’accès des individus à la communication publique. Traditionnellement celle-ci était réservée à l’élite politique, intellectuelle, économique. Seule l’élite est censée parler au nom de cette masse silencieuse. L’internaute prend la parole en participant à un forum de discussion ou à un chat. Il peut créer une “ page perso ” où il transmet ses connaissances sur un sujet donné. Mais la forme la plus populaire de l’expression individuelle est aujourd’hui le blog. Les internautes y parlent de différentes questions allant de l’intimité ordinaire à des questions publiques. L
e blog est considéré aujourd’hui comme l’un des phénomènes le plus représentatifs de la nouvelle culture internet. Toutes les catégories sociales y participent. Selon les statistiques mondiales, plus de 50.000 enfants âgés entre 10 et 12 ans ont déjà créé leur blog.
L’Internet tunisien : le contenu encore et toujours
Pour parler de l’Internet tunisien, nous disposons de peu de statistiques. L’Agence tunisienne de l’Internet publie périodiquement des chiffres qui autorisent quelques réflexions. Ces statistiques nous disent par exemple qu’il existe actuellement environ 3.000 sites tunisiens. Compte tenu du développement de l’Internet en Tunisie (900.000 internautes) et de la stratégie de l’Etat, ce chiffre est inquiétant. Comment l’expliquer. Plusieurs raisons peuvent être avancées. Ainsi l’absence de possibilités pour les internautes de créer des contenus personnels participe à cet aspect institutionnel de l’Internet tunisien. Le réseau n’est pas en effet une simple vitrine ou des institutions publient des informations. Il est un espace vivant où s’entrelacent des communications de toutes sortes qui créent ces possibilités d’échanges et de participation que préfèrent les internautes : pages perso, blogs, forums…). Or selon une enquête menée l’année dernière par Sigma Conseil, société spécialisée dans les mesures d’audience , 70% des internautes tunisiens n’ont jamais visité un site tunisien. Cette situation a des effets sur l’ensemble des acteurs. A défaut d’internautes, la presse tunisienne sur Internet est incapable par exemple de capter des investissements publicitaires et ne peut donc se développer. L’internaute doit donc être placé au coeur de la réflexion sur la question du contenu tunisien. Car l’Internet n’existe pas en dehors des usages, de la vie des internautes, de ce qu’ils aiment faire sur le réseau : échanger, dialoguer, se distraire, se rencontrer, partager… Toutes sortes d’activités que devrait accueillir l’Internet tunisien.